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Tous ensemble! Tous ensemble!
solidarność
Août 1980. Le Mur et le portail du chantier naval de Gdansk… les ouvriers en grève… la foule des gens paisibles…
Ces images parcourent en Occident les écrans de télé et les colonnes de la presse. Événements immortalisés par quelques photographes amateurs, par des passants, mais aussi par des journalistes et des reporteurs étrangers, qui viennent de l’Ouest pour être au cœur de l’action…
Les images de cette Pologne lointaine, derrière le Rideau de Fer, où les ouvriers des chantiers se mettent en grève, pénètrent progressivement l’opinion publique mondiale…
Entretien de Leszek Biernacki
« J’ai toujours eu un appareil photo sur moi. Lorsque je suis arrivé sur le chantier naval et que j’ai vu ce qu’il s’y passait, j’ai commencé à prendre des photos, je n’ai pas pu m’arrêter, j’ai senti que c’était important, qu’il était nécessaire de préserver ces moments… »
Août 1980. Les ouvriers du chantier naval de Gdansk entrent en grève. Les premiers moments des manifestations sont immortalisés par Leszek Biernacki, un jeune garçon de 20 ans. Diplômé d’une école d’art, il a toujours eu un appareil photo sur lui. Les photos qu’il a prises au cours de la première semaine de grève seront envoyées aux nouvellistes de Gdansk, Gdynia, Sopot et d’autres villes pour inspirer l’espoir et encourager les gens à protester.
Les premiers jours de grève…
Leszek Biernacki avec ses amis d’une troupe théâtrale jouent au centre de la ville de Gdansk Pulcinello, théâtre dell’arte, et le spectacle Dragon. Les foules y assistent. Biernacki cherche à convaincre ses compagnons d’aller vers le chantier naval et de jouer pour les ouvriers. Mais ses collègues de la troupe craignent des représailles. Il se rend seul au chantier naval.
« Je suis allé seul au chantier naval. À l’entrée, deux drapeaux, celui de la Pologne et celui du Vatican, beaucoup de fleurs autour d’un portrait de Jean-Paul II. L’atmosphère à l’entrée : comme un an auparavant, lors du premier pèlerinage du Pape en Pologne. Un haut-parleur annonce que la grève se poursuit. Une croix de bois devant la porte. Les gardiens du chantier naval m’ont vu prendre des photos et m’ont invité à entrer pour photographier la grève. […] J’ai reçu un laissez-passer permanent, je pouvais regarder partout, parler et prendre des photos. J’ai travaillé en étroite collaboration avec le comité de grève du chantier naval, dont faisaient partie – bien que sporadiquement – Anna Walentynowicz et Lech Wałęsa. Après le pèlerinage du Pape en 1979, j’ai acheté un coffret de plusieurs CD contenant une sélection de chants pontificaux et d’homélies du premier pèlerinage. Je l’ai apporté au chantier naval. L’ouvrier du chantier les a fait écouter de temps en temps par haut-parleur dans le hall du BHP. Le Pape n’était donc pas seulement présent sous la forme d’un portrait sur la porte, mais il parlait aussi aux ouvriers. Pendant tout ce temps, je prenais des photos, je rentrais chez moi, je développais les négatifs, je les agrandissais dans la salle de bain où j’avais installé une chambre noire secrète, et je les apportais aux grévistes. »
Espoirs
L’été 1980
Tout commence avec Anna Walentynowicz…
L’initiative de la grève est prise par un petit groupe de travailleurs, 30 à 50 personnes qui, le matin du 14 août 1980, lancent un appel à une grève de solidarité avec Anna Walentynowicz. Cette ouvrière du chantier naval – elle y travaille depuis trente ans – a été licenciée, juste avant sa retraite. C’est une collègue appréciée, une femme engagée dans la lutte pour la formation de syndicats libres et pour l’érection d’un monument commémoratif en l’honneur des victimes de la grève de 1970, grève qui avait éclaté sur ce même chantier naval Lénine de Gdansk, le 14 décembre 1970, et qui avait embrasé les villes voisines de la côte baltique (Gdynia, Szczecin, Slupsk, Elblag) et avait été réprimée dans le sang par le régime communiste. Le nombre exact des victimes n’était pas connu à l’époque. De nombreuses familles n’avaient pas retrouvé les corps de leurs proches. Depuis lors, un appel avait été lancé pour que soit érigé un monument à la mémoire des victimes de ce massacre.
Anna Walentynowicz est une figure emblématique de ces journées d’août où le chantier naval est en grève. Elle inspire, elle soutient, elle mobilise tout au long pour continuer la grève…
« Nous renaissions en tant que peuple. Nous ressentions de l’espoir, l’espoir d’être dignes, d’être chez nous, d’être un hôte…. On dit que les gens, une fois qu’ils ont refermé la porte de leur maison, retrouvent leur intimité : le contact avec leur femme, leurs enfants, leurs livres. Beaucoup de gens veulent se retrouver, en utilisant la porte de leur maison pour former une séparation avec la sphère professionnelle, et ce qui est merveilleux dans cette grève, c’est que la sphère professionnelle a acquis de la dignité, de la noblesse et de la sublimité, et qu’elle était telle que …. il n’est venu à l’idée de personne de claquer la porte et de partir. »
Tadeusz Knade, Kto tu wpuscił dziennikarzy?, Qui a laissé entrer les journalistes ici ?, p. 246.
Symboles nationaux, symboles religieux, si omniprésents lors des grèves du mois d’août. À Gdańsk, et dans d’autres villes. Pour donner forme à la communauté créée, ils utilisent des catégories historiques.
C’est grâce à des journalistes du monde entier, représentant les plus grandes agences de presse, les radios et les télévisions du monde, que les sociétés occidentales ont découvert les ouvriers polonais en grève au chantier naval de Gdansk. Et à travers eux, elles ont commencé à découvrir le monde vivant derrière le rideau de fer.
Les grèves ouvrières de Gdansk, dont les images ont été diffusées dans la presse et la télévision occidentales, ont suscité de nombreuses réactions positives et enthousiastes dans le monde entier. Les interprétations et les points de vue étaient très divers.
Claudio Mésoniat et Maurizio Balestra suivirent les événements depuis le Tessin.
Entretien avec Claudio Mésoniat, mené par Renata Latała, 8 Septembre 2020, Massagno (Lugano).
Espoirs
Genèse de la révolte
« On savait depuis longtemps qu’il allait se passer quelque chose. La situation dans le pays était tendue et les gens étaient frustrés. Pas seulement les travailleurs, mais aussi les fonctionnaires du parti. En parcourant le pays et en entrant en contact avec différents cercles, j’observais depuis des années une amertume et un mécontentement croissants. »
Wojciech Adamiecki
Nous en avons assez !
La grande vague de grèves, qui a atteint son apogée à Gdansk, fortement médiatisée en Occident, et qui est entrée dans l’histoire comme moment d’émergence de Solidarnosc, n’a pas commencé sur le littoral baltique. Les grèves ont été déclenchées en juillet 1980 dans la région de Lublin, dans l’est de la Pologne. Dans ces grèves, nées de l’augmentation du prix de la viande, l’accent était mis principalement sur les revendications salariales en raison de la situation économique dramatique : inflation, pénuries, en particulier de viande, mais aussi de nombreux autres produits.
Dans une situation où le seul employeur était l’État, les entreprises privées étant pratiquement inexistantes, les travailleurs, les ouvriers d’usine, ont décidé de se rebeller contre l’État, propriétaire de la plupart des usines, et ont exigé des augmentations salariales.
Ces premières grèves de juillet se sont étendues à d’autres régions de Pologne, mais c’est le chantier naval de Gdansk qui a cristallisé ce mouvement contestataire.
Wojciech Adamiecki, Kto tu wpuścił dziennikarzy?, p. 86.
Entretien avec Bohdan Górski
«La situation économique de la Pologne est tragique au début des années 1980…»
Bohdan Górski, économiste et expert des pays du Bloc soviétique, suivait de près les événements en Pologne depuis son exil en Suisse. Il exprime le paradoxe du système communiste.
« A la frontière suisse, un réfugié arrive. Le premier réfugié est un chat. Les Suisses lui répondent :
– Mais, le chat, qu’est-ce que tu fais ici ? Tu peux chasser les souris partout !
– Non, je ne peux pas.
– Mais pourquoi ? lui demandent les Suisses.
– Parce qu’il y a maintenant des lois. Les chats ne peuvent plus chasser eux-mêmes. Ils doivent faire partie d’une coopérative pour pouvoir chasser les souris. Mais les chats qui étaient dans ces coopératives sont morts de faim, car les coopératives n’ont jamais rien fait. Il y a trop de souris, mais le Parti ne veut rien faire. C’est pour ces raisons que je demande l’asile.
– Bien sûr, bien sûr… entre.
Et le chat obtient l’asile.
Un deuxième réfugié se présente à la frontière. C’est un chien. Les Suisses lui demandent :
– Mais le chien, que fais-tu ici ?
– Je suis en danger, répond le chien.
– Mais comment ? Tu peux aboyer partout !
– Non, maintenant, les chiens ne peuvent plus qu’aboyer dans le cadre du Parti et uniquement si le Parti le demande. Et moi, si je ne peux pas aboyer librement, c’est comme si j’étais mort. Je suis donc parti.
– Bon, alors entre.
Et le chien obtient l’asile.
Vient encore un troisième réfugié. C’est un lapin. Les Suisses lui demandent :
– Mais enfin lapin, pourquoi viens-tu ici ?
– Je suis en danger.
– Ah bon ? En danger ?
– Oui, il y a une nouvelle loi qui stipule que tous les éléphants doivent être castrés.
– Oui, mais tu n’es pas un éléphant !
– En effet, mais ils te prennent, te castrent et seulement après tu peux prouver que tu n’es pas un éléphant ! »
Entretien avec Bohdan Górski, mené par par Renata Latała, 22 Juin 2020, Villars-sur-Glâne.
« Il y avait la conviction que cette naton – étouffée, écrasée, privée de voix, privée de la possiblité de se réaliser – allait exploser. Il y avait des visions de massacres sanglants, de représailles extrêmes. On était convaincu que la direction du Parti avait depuis longtemps dépassé les limites de la résistance psychologique de la population et que, celle-ci n’étant pas organisée, elle réagirait de manière chaotique. Il s’agissait de visions catastrophiques, apocalyptiques. Ces visions découlaient du fait que les autorités avaient réussi à provoquer une très forte atomisation de la société, qu’avec l’aide la propagande, avec toutes les pseudo-valeurs diffusées dans les médias de masse, elles avaient réussi à créer une méfiance de l’homme vis-à-vis de l’homme, des dissenssions internes, mais aussi une désintégration de la structure établie, qu’il s’agisse de couches, de classes, de groupes, … »
Ref. Ryszard Kapuscinski, Kto tu wpuścił dziennikarzy?, p. 15.
Visite pontificale de Jean-Paul II en Pologne
« N’ayez pas peur… »
Le premier pèlerinage de Jean-Paul II en Pologne, en juin 1979, permet, pour la première fois, d’expérimenter un lien éthique dans l’espace public, en réunissant autour de lui une grande partie de la société.
Les valeurs telles que la dignité de l’homme, la dignité du travail, l’importance de la communauté sont mis en avant dans le discours de Jean-Paul II. Ces paroles, sa présence, donnent de l’espoir à une société épuisée, matériellement et moralement, dans le contexte d’une crise économique et psychologique.
Evelest, que sendi optas incia dita pro evendi aute excestrum quiae cum fugit officae ctiisitis comnis audam fuga. Ilicid maximolorpos veresto consequatur sus aut ulla dolorro vendelist, ut ad magnis conesciet faccum aceped est, corerovit.
Union
« Ce portail ne divisait pas, mais unissait les gens… »
« Ce portail ne divisait pas, mais unissait les gens. D’un côté, les ouvriers des chantiers navals, de l’autre, la ville. Les maris d’un côté, les femmes et les enfants de l’autre. Les grévistes sortaient devant le portail, saluaient leurs enfants, souvent tout petits, dans des landaus. Les femmes demandaient devant tout le monde d’une voix inquiète : « Quand est-ce que tu rentres ? » Et eux : « Quand est-ce que nous rentrons ? Eh bien, tu sais, on sait pas quand on rentrera. On attend qu’ils viennent nous parler. » On sentait que derrière ce portail, il y avait un monde complètement différent, qu’il y avait des lois différentes. C’est tout à fait indescriptible. Je suis resté là et j’ai observé. Je me retrouvais à la frontière d’un autre monde. »
Réf. : Wojciech Adamiecki, Qui a laissé entrer les journalistes ?, p. 86
Le Comité de grève inter-entreprises, est créé le 16 août, avec 19 délégués représentant 388 entreprises. Les tentatives faites par les autorités pour négocier avec différentes entreprises séparément, pour briser la solidarité entre les travailleurs, n’aboutissent pas. Les délégués formulent la liste de leur 21 postulats. Le premier est la revendication d’un syndicat libre.
La mobilisation ne cesse de se renforcer dans tout le pays et embrasse tous les milieux.
Les intellectuelles expriment leur soutien à la cause des ouvriers. Les militants d’opposition se regroupent autour du KOR et du RAPCIO.
Le 20 août, soixante-deux intellectuels de Varsovie, nombre d’entre eux étant de réputation internationale, certains membres du Parti Communiste, lancent un appel en faveur des syndicats libres et demandent la reconnaissance du MKS.
Un groupe d’intellectuels de toutes tendances vient au chantier le 24 août. Il formera une « commission d’experts » qui assistera le Comité de grève pour préparer les dossiers en vue des négociations.
Espoirs
23-30 août
Ouverture des négociations entre gouvernement et grévistes : mille délégués sont présents qui représentent six cent entreprises.
« Dans la salle du chantier Lénine, les négociateurs du gouvernement se tiennent sous la statue de Lénine, ceux de Solidarité sous une croix, entre les deux, un aigle de Pologne. »
Le Bulletin d’information des grévistes, sous le nom de « Solidarité », édité à 40.000 exemplaires, relate jour après jour le déroulé des négociations.
Tadeusz Knade, Kto tu wpuscił dziennikarzy?, Qui a laissé entrer les journalistes ici ?, p. 246.
ENTRETIEN AVEC RUTH DREIFUSS
Entretien avec Ruth Dreifuss mené par Renata Latala, le 13 décembre 2022, Genève
Témoignage du graphiste qui a créé le logo
La conception graphique du logo « Solidarnosc » est l’œuvre de Jerzy Janiszewski. L’artiste a offert le logo – comme un cadeau – au Comité inter-entreprises, dans un premier temps, puis au syndicat.
Le récit de la réalisation de l’idée par Jerzy Janiszewski :
« Dès les premiers jours de la grève, je restais devant les grilles du chantier naval. C’était une grande expérience. C’était la première fois que j’assistais à de tels événements. J’ai vu comment la solidarité s’est établie entre les gens, comment un mouvement social est né et comment les institutions se sont jointes à ce courant. Tout cela a eu un fort impact sur ma psychique. Je voulais passer de l’autre côté du portail. À l’extérieur, il n’y avait que des messages laconiques. Je voulais aider les travailleurs des chantiers navals d’une manière ou d’une autre. J’ai réussi à obtenir un laissez-passer. (…) Je voulais créer un symbole, un signe expressif avec lequel je pourrais leur montrer mon soutien, prouver notre lien avec eux. (…)
J’ai commencé à penser au slogan. Il y en avait tellement sur les murs… Ils répétaient le mot « solidarité »… C’était aussi le titre du Bulletin de grève. J’ai choisi ce mot parce qu’il était le plus difficile de décrire ce qui arrivait aux gens. Je ne me souviens pas exactement du moment où l’idée de la forme graphique de l’inscription m’est venue. (…) Le concept était basé sur une similitude : comme les gens dans une foule serrée se soutiennent les uns les autres par solidarité, ce qui était caractéristique de la foule à la porte, ceux qui étaient debout ne se poussaient pas, ne se repoussaient pas, mais se soutenaient les uns les autres – ainsi, les lettres du mot devraient également se soutenir les unes les autres, ne pas être séparées ou s’attaquer les unes les autres. J’ai commencé à me dépêcher. Je voulais terminer l’idée en détail avant l’arrivée de la commission gouvernementale, pour qu’elle aussi puisse sentir que c’était le cas. Finalement, j’ai combiné les lettres. J’ai également ajouté le drapeau, car j’étais consciente que le problème n’était plus seulement environnemental, mais général, qu’il s’agissait d’un mouvement de masse, et que notre drapeau devait donc flotter au-dessus. Les lettres ont un aspect nettement « négligé », mais c’est ce qui fait leur force. C’est ainsi qu’elles étaient écrites sur les murs et cette forme était la plus communicative dans cette situation particulière.
Evelest, que sendi optas incia dita pro evendi aute excestrum quiae cum fugit officae ctiisitis comnis audam fuga. Ilicid maximolorpos veresto consequatur sus aut ulla dolorro vendelist, ut ad magnis conesciet faccum aceped est, corerovit.
Le mouvement est né
Les accords portant sur les 21 postulats sont signés à Szczecin le 30 août, à Gdansk le 31 août et à Jastrzebie (en Silésie) le 3 septembre, mettant fin à la grève générale, ouvrant la voie à la naissance du syndicat autonome Solidarność, indépendant du pouvoir.
Des journalistes, des photographes et des observateurs étrangers se trouvent à Gdansk en ces jours mouvementés du mois d’août pour rendre compte des événements qui se déroulent sur le chantier naval de Gdansk. Ils ne se contentent pas d’assister aux événements, ils y contribuent également. Leurs reportages, articles et photographies contribuent à la diffusion d’informations concernant les événements de Pologne, leur signification et leur contexte géopolitique.
La conclusion des Accords d’août et la création du syndicat Solidarność sont devenues un « événement médiatique mondial ».
« Solidarność c’est une communauté de gens de bonne volonté, qui se crée de manière spontanée, par une solidarité plus profonde, celle des consciences.»
« La solidarité est toujours une solidarité autour d’un certain dialogue.»
Józef Tischner, Etyka Solidarności
Le mouvement Solidarnosc unit des groupes sociaux qui vivaient jusqu’alors séparés : des ouvriers, des intellectuels, mais aussi des agriculteurs, des étudiants. Tous ces milieux fonctionnaient auparavant séparément, ce que l’on a vu lors des révoltes de 1956, 1968 ou 1970.
Entretien de Bohdan Górski réalisé par Renata Latała, 22 Juin 2020, Villars-sur-Glâne.
Congrès de Solidarność
5 – 10 septembre / 26 septembre – 7 octobre
Premier Congrès de Solidarność
» Les délégués ont évidemment apprécié qu’il s’agissait de bien plus qu’un congrès syndical : c’était un rassemblement patriotique, un parlement alternatif sans précédent dans le bloc soviétique, une Assemblée nationale – et pas seulement du Tiers Etat. Comme on pouvait s’y attendre, la politique symbolique de cette Assemblée nationale polonaise a été superbe. A partir du moment où le tableau d’affichage électronique s’est illuminé avec le signe de la croix et les mots « Polonia semper fidelis », tandis que Walesa se levait pour entonner une fois de plus « La Pologne n’est pas encore perdue… » et « Dieu qui protège la Pologne… », la salle de sport Olivia, habituellement dénuée d’âme s’est remplie de l’esprit des martyrs de la nation. Aucune occasion n’a été manquée pour démontrer qu’ici se trouvaient les véritables héritiers de la grande tradition des idéaux polonais, de l’autre, de la vraie Pologne populaire, dont l’histoire est remémorée par mois. «
Timothy Ash, The Polish Revolution: Solidarity, Penguin Books (1983), 1999, p. 217.
Photo : Leszek Biernacki, 1981.
Les tracts tombent du Ciel…
La propagande du gouvernement communiste a tenté de faire des syndicalistes de Solidarność des ennemis de la nation, en les accusant d’anarchie, de politique inadaptée visant à l’auto-destruction de la Pologne. Avec la police, les médias, la presse et la censure entre ses mains, le pouvoir disposait de moyens pour manipuler l’opinion afin de diviser la société et discréditer les actions du syndicat indépendant Solidarność.
Solidarność a dû lutter en permanence contre les attaques et les manipulations, afin de ne pas perdre le lien avec la société dans son ensemble. Les tracts, bulletins et imprimés publiés par les structures locales et régionales du syndicat Solidarność apportaient des informations sur la situation dans le pays et permettaient de maintenir les liens. Ils informaient sur les rassemblements, les grèves, les manifestations, les marches de la faim, ainsi que sur les répressions du gouvernement contre les syndicalistes et l’opposition.
Solidarność est un large mouvement, très diversifié, se basant sur un consensus de valeurs à défendre, acceptant pour le reste les différences d’opinons, les disputes de doctrines, les divergences de convictions.
Par-delà des frontières
Le mouvement Solidarność éveilla un grand intérêt dans l’opinion publique internationale. L’attitude face à ce mouvement syndical ainsi que la perception du contexte polonais ne fut pas uniforme, provoquant souvent des réactions différentes. Solidarność fascina. Solidarność questionna. Solidarność inquiéta…
Au contraire de la politique réservée et prudente de la majorité des gouvernements occidentaux et même à la méfiance de certains milieux politiques, craignant la déstabilisation de la situation dans le bloc de l’Est, Solidarność étant perçu comme une menace pour l’avancement du processus de détente, pouvant conduire à une escalade du conflit Est-Ouest, l’on observe un enthousiasme en faveur de Solidarność au sein des sociétés occidentales.
De par sa médiatisation, l’« expérience polonaise », qui ouvre de nouveaux « horizons d’attente et d’espoir », éveille une attention accrue pour un pays de cette « autre l’Europe », jusqu’alors peu connue ou perçue comme périphérique, située derrière le rideau de fer. Des liens interhumains se créent, qui transgressent les frontières et brisent les murs (et plus concrètement le Mur) qui séparent les individus et les sociétés.
Entretien de Clive Loertscher
Enseignant et syndicaliste
« L’espoir était immense… »
« Dans la Solidarité, d’abord c’était le nom que j’ai trouvé très beau (…). C’était l’espoir pour l’Europe parce que on était encore à la période de deux blocs (…) ça sortait de cette oposition Amérique – Union Soviétique, ou Bloc de l’Est – Bloc de l’Ouest (… ) cela donnait l’impression qu’il avait une voie autre pour l’Europe qui voulait se réunifier… donc cet espoir était immense. »
Entretien avec Clive Loertscher mené par Renata Latała, 10 Septembre 2020, Grandvaux.
Entretien avec Ruth Dreifuss
«Il y avait des tentatives d’instrumentalisation du mouvement par divers milieux en Suisse… »
Entretien avec Ruth Dreifuss, mené par Renata Latala, le 23 Novembre 2020, Genève.
De Suisse en Pologne
Dès août 1980, plusieurs groupes et milieux de tendances politiques divergentes se mobilisent en Suisse en faveur du mouvement. Certaines actions ont un caractère spontané, d’autres prennent des formes plus organisées, souvent dans le sillage du mouvement socialiste ou syndical.
Dès la signature des accords de Gdansk, puis la fondation du syndicat libre polonais, se créent un peu partout en Europe occidentale ainsi que dans certains pays extra-européens (Australie, États-Unis, Mexique) des comités de soutien à Solidarność. À l’origine de ces initiatives se trouvent des individus et divers groupes : émigrés polonais, souvent de la deuxième génération, milieux intellectuels, cercles catholiques, militants politiques ou syndicaux.
Dans plusieurs pays, ce mouvement s’appuie sur des comités ou organisations déjà fondés dans les années 1970 pour soutenir l’opposition démocratique en Pologne ou dans d’autres pays de l’Europe Centrale et orientale, de ce que l’on définissait à l’époque comme étant le Bloc de l’Est. C’est notamment le cas en Suisse. L’un de ces comités de soutien est créé en Suisse Romande (Genève, Lausanne, Jura) dans le sillage du Comité de solidarité socialiste avec les opposants des pays de l’Est (CSSOPE). Les militants du CSSOPE, dès août 1980, s’engagent dans le soutien au syndicat Solidarność par des campagnes d’informations et en récoltant de l’argent.
Entretien avec Clive Loertscher
Parmi ceux qui se sont engagés dès les premières heures dans le soutien à Solidarność, l’on compte Clive Loertscher, enseignant et syndicaliste vaudois.
Entretien avec Clive Loertscher mené par Renata Latała,10 Septembre 2020, Grandvaux.
Réf. : Le Courier, 10.03.1981.
Entretien avec Marcel Gerber
«Une révolution »
Visite des syndicalistes suisses en Pologne, Filmé par Marcer Gerber, Fonds privé Marcel Gerber
Syndicalistes suisses en Pologne
Solidarność, en tant que syndicat indépendant, considéré comme « un vrai syndicalisme autogéré », intervenant au nom de ses membres pour défendre leurs droits économiques, mais qui n’aspire ni au pouvoir ni ne se dresse contre l’ordre constitutionnel, éveille l’intérêt en particulier au sein du mouvement syndical suisse, des milieux socialisants ou trotskistes. Dans cette vague d’enthousiasme pour Solidarność, plusieurs syndicalistes suisses partent en Pologne pour visiter des entreprises et rencontrer les membres de Solidarność.
L’une de ces visites est effectuée par les militants trotskistes et syndicalistes du CSSOPE. Accueillis par le Solidarność de la Basse-Silésie et de la Mazovie, ils visitent, entre le 11 et 20 avril 1981, des entreprises à Wroclaw et Varsovie et rencontrent les membres du syndicat de ces deux régions.
Entretien avec Clive Loertscher
Entretien avec Clive Loertscher mené par Renata Latała, 10 Septembre 2020, Grandvaux.
Délégation de Solidarność en Suisse
En mai 1981, le Groupe syndical de coordination Solidarność est crée par les syndicalistes suisses au retour de leur voyage en Pologne. Leur but est d’inviter une délégation du syndicat polonais en Suisse. L’objectif est d’une part de créer des contacts directs et durables entre les groupes syndicaux polonais et suisse et d’échanger des informations au niveau des entreprises, et, de l’autre, par la présence des membres de Solidarność en Suisse, de faire connaitre sa cause et ainsi de soutenir le syndicat polonais. Tout un programme de manifestations publiques, de rencontres, de conférences, de visites d’entreprises est ainsi prévu. La visite est organisée avec le soutien de l’Union des syndicats suisses / Scheizerischer Gewerkschaftsubn (SGP) et de la Confédération des syndicats chrétiens / Christlichnationaler Gewerkschaftsbund (CNG). Elle se déroule en Suisse du 29 novembre au 13 décembre 1981.
Entretien avec Clive Loertscher
Entretien avec Clive Loertscher mené par Renata Latała,10 Septembre 2020, Grandvaux.
Le 29 novembre 1981, arrive en Suisse une délégation officielle de Solidarność, constituée de 13 membres (dont la traductrice). Issus de diverses régions de Pologne, les membres de la Délégation représentent également divers corps de métiers.
Krzysztof Podolczyński
Bolesław Franaszek
Maria Nowak
Ingénieure chimiste, membre de Solidarność à Varsovie
Jerzy Grębski
Médecin anesthésiste, membre du syndicat Solidarność de Varsovie
Entretien avec
Maria Nowak-Grębska
« Cela était très important pour nous aussi, et nous étions très fiers de pouvoir bénéficier d’une aide aussi professionnelle. »
Lors de son séjour en Suisse, la délégation de Solidarnosc a été partagée en deux groupes. Une partie des syndicalistes polonais a visité la Romandie, l’autre la Suisse Alémanique. Le programme préparé par la coordination nationale des syndicalistes suisses prévoyait toute une série de rencontres, de débats et de discussions en présence de syndicalistes, de représentants de collectivités locales et d’habitants de la région. Parmi les points forts figuraient des visites d’entreprises et d’usines à Bâle, Zoug, Bienne, etc., qui leur ont permis de rencontrer des syndicalistes, des employés et des cadres dirigeants. Ces échanges au sein des entreprises ont souvent constitué l’occasion de solliciter de l’aide matérielle ou du support technique pour diverses branches de l’industrie polonaise.
Maria Nowak fait partie du groupe de la délégation de Solidarnosc qui s’est rendue en Suisse Alémanique. Le groupe a été accueilli au sein de l’entreprise pharmaceutique Sandoz, à Bâle. Maria Nowak souligne l’importance de cette visite :
« Cette visite a été très constructive. Nous avons parlé du fait qu’il y avait [en Pologne] une pénurie de nombreux médicaments de base et de produits intermédiaires. Sandoz s’est engagé à aider la Pologne, plus précisément l’industrie pharmaceutique, et en particulier l’usine de Varsovie, qui avait une petite activité de synthèse chimique en plus du conditionnement des médicaments. Sandoz a décidé d’apporter son assistance et d’envoyer gratuitement à la Pologne, à hauteur de 500 000 francs, les produits intermédiaires les plus nécessaires à la synthèse chimique et aux médicaments, des produits dont manquaient tous les groupes en Pologne. Cela était très important pour nous aussi, et nous étions très fiers de pouvoir bénéficier d’une aide aussi professionnelle. Parmi les nombreuses entreprises visitées se trouvaient également plusieurs usines fabriquant notamment des compteurs d’énergie. »
Entretien avec Maria Nowak-Grębska mené par Renata Latała, le 9 octobre 2023, Piaseczno (Varsovie).
Entretien avec Fernand Cuche
Entretien avec Fernand Cuche mené par Renata Latała, le 18 Juin 2020, Les Prés sur Lignières.
Entretien de Jerzy Grebski
Médecin
«Ils étaient toujours affligés par le fait que l’objet du discours officiel se révélait soudain être un pays dans lequel il y avait des goulags, dans lequel on manquait de liberté, non seulement de liberté syndicale, mais de liberté tout court, et qui constituait une menace pour la paix. »
Lors de leur visite en Romandie, les syndicalistes ont été reçus chaleureusement par diverses collectivités locales. Des liens particulièrement forts se sont tissés lors de leur passage dans le Jura. Jerzy Grebski, un médecin de Varsovie représentant la section de Solidarnosc de la région de Masovie, fait partie du groupe des syndicalistes polonais qui ont visité la Suisse Romande.
» Il y a eu quelques réunions, dont la première, si je me souviens bien, a eu lieu dans une usine Bobst. C’était une ancienne usine métallurgique qui faisait aussi office d’usine d’emballage, où ils fabriquaient des boîtes en carton pour la production. Une réunion a été organisée comme ça, en présence des syndicalistes de ces usines ainsi que de la direction. C’était une discussion très politique. Ils s’intéressaient à la Pologne, mais c’était une réunion un peu formelle.
En revanche, les réunions avec les agriculteurs suisses et les producteurs de lait ou de fromage étaient totalement différentes. Ces rencontres étaient tout à fait cordiales et se déroulaient non pas au niveau d’un syndicat ou d’une organisation, mais plutôt d’un village ou d’une organisation. Après notre arrivée, des personnes nous ont accueillis chez eux pendant quelques jours. Ils nous ont montré avec fierté leur petite fromagerie, où plusieurs tonnes de lait étaient transformées, mais où les fromages étaient vraiment bons ; la pièce faisait à peine deux mètres carrés. Et c’est dans une pièce pas plus vaste que deux grandes caves qu’ils nous ont montré leurs enclos à animaux. En réalité, c’était aussi une réunion de famille, car nous étions accompagnés par les enfants de nos hôtes. Et pour nous faire plaisir, ils nous ont donné des skis, que deux d’entre nous qui visitaient le Jura français ont voulu essayer. Nous avons donc fait un peu de ski là-bas. C’était vraiment un accueil très chaleureux.
Les rencontres avec les étudiants à Genève, par exemple, étaient déjà plus politiques. Nous y avons rencontré des gens qui avaient une vision de gauche. Leurs discussions ont fait ressurgir les trotskistes, mais aussi Boukharine, dans nos mémoires. Ils ont ouvert la voie. Je sais aujourd’hui qu’il s’agissait de petits groupes, de quelques personnes, mais des gens très influents et extrêmement occupés ; d’excellents organisateurs. Quand ils m’ont invité à me présenter, j’ai parlé de mes opinions politiques comme le faisait un Polonais à qui les communistes avaient imposé la loi martiale en Pologne. Mes réponses ont été accueillies avec compréhension, mais les étudiants essayaient encore de trouver, pour ainsi dire, une explication à ce mythe de l’Union soviétique qui ne fonctionnait pas. Ils étaient toujours affligés par le fait que l’objet du discours officiel se révélait soudain être un pays dans lequel il y avait des goulags, dans lequel on manquait de liberté, non seulement de liberté syndicale, mais de liberté tout court, et qui constituait une menace pour la paix. Donc, en même temps qu’ils étaient, par exemple, anti-américains, j’ai l’impression qu’ils avaient une certaine peur de l’Union soviétique, de l’Armée rouge, d’une attaque possible. Après tout, en arrière-plan, on savait depuis longtemps ce que les Russes faisaient en Afghanistan.
Mais ils [les sympathisant de gauche] ne pouvaient pas s’approcher des Américains. C’est du moins ces gens-là que nous avons rencontrés, ces gens des milieux étudiants de Genève. À l’époque, il n’était pas encore possible de parler des Verts. Ce parti n’existait pas encore, mais il s’agissait de personnes ayant une attitude clairement de gauche.
En revanche, l’attitude politique dans le Jura était différente, ces gens-là ne cherchaient pas des visées politiques à large échelle. Ils faisaient leur propre politique sur place. C’est quelque chose qui m’a beaucoup touché, car il s’agissait d’une démocratie interne à la Suisse. Ils étaient habitués à voter plusieurs fois par an, à organiser toutes sortes de référendums, sur tout, de la piste cyclable qui allait passer par la piscine à l’embauche d’un nouvel employé, tout était soumis à référendum. Je dois dire que la première fois, cela m’a semblé exotique, mais j’ai ensuite constaté qu’il s’agissait d’une méthode valable au moins pour une si petite communauté. Je ne sais pas si cela passerait bien en Pologne, mais c’est une méthode et elle fonctionnait là-bas. C’est ainsi que les choses se sont passées, la manière dont j’ai vu les aspects politiques de la Suisse à l’époque. »
« Du Jura suisse, je me souviens très bien du président de l’association des agriculteurs suisses, Fernand Cuche. Une personne extrêmement intéressante, dont le profil nous a immédiatement rappelé le Polonais Janosik. Il avait des cheveux mi-longs et clairs, se déplaçait avec beaucoup d’agilité et était bien bâti. C’était un excellent organisateur, qui nous a charmés par son franc parlé, par la chaleur qu’il nous a témoignée, par exemple en nous invitant à dîner avec sa famille, et même en nous présentant sa petite amie, également suisse. Son attitude s’est révélée positive et elle nous a donné confiance en lui. »
Entretien mené avec Jerzy Grębski par Renata Latała, le 9 octobre 2023, Piaseczno (Varsovie).
Entretien de Fernand Cuche
Entretien avec Fernand Cuche, réalisé par Renata Latała, le 18 Juin 2020, Les Prés sur Lignières.
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